La clé d’une bonne santé vertébrale tient à un facteur clé : la stabilité vertébrale.
Vous aurez peut-être du mal à le croire, mais la colonne vertébrale elle-même est extrêmement instable. Un poids de 9 kg suffit à la blesser. Pourtant, certains haltérophiles arrivent à lever des centaines de kilos sans se blesser. Comment cela est-il possible ?
Les bases anatomiques de la stabilité vertébrale
La réponse se trouve dans le concept de stabilité neuro-vertébrale. Notre dos développe une bonne stabilité grâce à l’interaction de 4 sous-systèmes qui interagissent entre eux de manière intégrée. Ces systèmes sont liés et interconnectés et ils s’influencent. Il est impossible d’affecter l’un de ces tissus sans que les autres ne soient également influencés.
Ces 4 sous-systèmes sont :
- Le système passif (ou colonne vertébrale)
- Le système actif (ou musculature)
- Le système de contrôle (ou système nerveux)
- Le système émotionnel.
Nous reparlerons du système émotionnel plus tard car il représente un cas un peu particulier.
Ces 4 sous-systèmes se stabilisent entre eux par un phénomène appelé tenségrité. La tenségrité est la faculté d’une structure à se stabiliser grâce au jeu des forces de tension et de compression qui se répartissent dans la structure et s’y équilibrent.
Notre système neuro-musculo-articulaire répond donc à son environnement comme par effet de ricochet. Lorsque vous faites tomber un objet dans l’eau, une série de vaguelettes se forme à la surface, partant du point d’impact et s’éloignant vers sa périphérie. Il en est de même pour notre dos. Lorsqu’une force s’exerce sur une zone donnée de notre corps – par traumatisme, mauvaise posture ou encore mouvements répétitifs – cette force va se distribuer à l’ensemble du système.
Dans le corps humain, tout est donc connecté. Il est impossible de ne développer qu’un problème de muscle, d’articulation ou de nerf. Lorsqu’une de ces structures est touchée, les deux autres vont également être influencées et devoir compenser. Il est donc essentiel de les prendre toutes en compte.
Le système passif de la colonne vertébrale
La colonne vertébrale est composée de 33 ou 34 os, appelés des vertèbres, dont 24 sont mobiles. Le reste forme deux blocs soudés : le sacrum et le coccyx.
La colonne vertébrale est divisée en 5 régions :
- les cervicales, qui comptent 7 vertèbres
- les dorsales, qui comptent 12 vertèbres, et qui soutient la cage thoracique
- les lombaires, qui comptent 5 vertèbres
- le sacrum, qui compte 5 vertèbres soudées
- le coccyx
Vu de derrière, la colonne doit être absolument droite. Toute déviation de côté de la colonne est pathologique. On appelle cela une scoliose.
Vu de côté ou de profil, elle doit présenter des courbures physiologiques. Les cervicales et les lombaires sont concaves vers l’arrière : on appelle cela une lordose. Les dorsales et le sacrum sont convexes vers l’arrière : on appelle cela une cyphose. Ces courbes peuvent être accentuées – on parle alors d’hyper- lordose/cyphose – ou diminués – on parle alors d’hypolordose/cyphose.
Pour former la colonne vertébrale, les vertèbres s’entassent les unes sur les autres et sont séparées par le disque intervertébral. Un disque est présent entre chaque vertèbre, sauf entre la première vertèbre cervicale et la seconde vertèbre cervicale.
Le disque vertébral se compose de deux structures :
- le noyau pulpeux, au centre, qui a une consistance de gel
- l’anneau fibreux, autour
Lors de compression de la colonne, les murs du corps vertébral restent rigides. Par contre, le noyau pulpeux est mis sous pression – c’est un liquide, et il est donc incompressible ; cette pression est transmise aux plateaux vertébraux, qui sont cartilagineux et qui vont bomber vers l’intérieur de la vertèbre, ce qui compresse l’os spongieux.
Les travaux du Dr McGill ont montré qu’en cas de compression trop forte, c’était l’os qui lâchait en premier, et pas le disque.
Au contraire du mythe qui perdure, ce n’est pas le disque qui joue le rôle de coussinet amortisseur des chocs, mais bien le corps vertébral.
Pour apprécier cela, je vous invite, la prochaine fois que vous serez chez votre boucher, de lui demander de vous donner une vertèbre de porc fraîchement découpée. Tenez le corps vertébral entre les doigts et compressez-le. Vous serez de sentir sa capacité à se déformer et son élasticité. La vertèbre se déforme de la même manière lorsqu’elle est sous compression.
La colonne vertébrale est également constituée d’un certain nombre de ligaments.
Le ligament longitudinal antérieur parcourt toute la longueur de la colonne le long des parois avant des corps vertébraux. Le ligament longitudinal postérieur fait de même le long des parois arrières des corps vertébraux. Il se trouve donc dans le canal vertébral. À l’arrière du canal vertébral se trouve un ligament très flexible : le ligament jaune.
À l’arrière de la colonne, nous trouvons deux ligaments importants.
Le premier, le ligament interépineux, lie deux apophyses épineuses entre elles. Le deuxième, le ligament supra épineux, parcourt toute la colonne, reliant les pointes des apophyses épineuses.
Le ligament interépineux est important de par son implication dans certains traumatismes. Nous en reparlerons.
Le système passif de la colonne vertébrale donne donc la forme et la structure de notre dos. Il joue un rôle dans l’absorption des forces et dans le mouvement. Les ligaments vont également jouer un rôle de stabilité en fin de mouvement. Ils permettent la stabilité structurelle.
On le dit « passif » parce que, en lui-même, il ne produit pas de mouvement. Grâce aux récepteurs neurologiques qui se trouvent dans les ligaments, il joue également un rôle important dans le monitoring des forces qui s’exercent sur la colonne.
Le système actif de la musculature
La musculature vertébrale est complexe et contient de nombreuses couches de muscle. D’un point de vue fonctionnel, nous pouvons la diviser en trois « couches » :
- La couche profonde
- La couche moyenne ou intermédiaire
- La couche superficielle
La couche profonde
La couche profonde est constituée de deux groupes de petits muscles : les muscles rotateurs et les muscles intertransverses et du multifidus. Ces muscles s’attachent d’une vertèbre à une autre. Ils sont très courts. À l’inverse de ce que leur nom semble indiquer, ces muscles ne sont pas impliqués dans le mouvement. Ils monitorent la position de la colonne vertébrale dans l’espace et en informe le cerveau. Ce sont donc avant tout des messagers.
La couche moyenne
La couche moyenne est constituée de 4 muscles clés.
Deux sont des muscles vertébraux : les muscles extenseurs et les carrés des lombes.
Les muscles extenseurs sont en fait un groupe de muscles composé de 3 types de muscles :
- longissimus,
- iliocostalis et
- spinalis
Ces trois muscles ne sont pas juste un seul muscle, mais toute une série de muscles qui s’attachent sur le bassin et les vertèbres et qui s’étendent au travers de 1 à 3 niveaux vertébraux.
Le muscle carré des lombes s’attache sur les crêtes iliaques du bassin, le bas des côtes et les apophyses transverses des vertèbres lombaires. Il y a en a un de chaque côté.
Le tr0isième est un muscle abdominal. Il s’appelle l’abdominal transverse. Il s’attache sur la partie avant latérale de notre bassin (dans la zone du ligament inguinal) et vient s’attacher sur les côtes basses et le fascia thoracolombaire.
Le dernier muscle est le psoas. Il s’attache sur les côtés de la colonne et des disques vertébraux lombaires et l’intérieur de notre bassin et s’étend jusque sur le fémur. Il a pour rôle principal de fléchir la hanche, mais joue aussi un rôle de stabilisateur de la colonne lorsque la hanche est pliée.
La couche moyenne ou intermédiaire a pour rôle de stabiliser la colonne vertébrale, sur ordre du cerveau. Elle réagit en fonction des informations reçues de la couche profonde et interprétées par le cerveau.
Pour être complet en matière de stabilité, nous devrions également ajouter à cette couche le muscle du diaphragme. Connu comme étant le muscle principal de la respiration, des découvertes récentes ont montré que le diaphragme joue également un rôle dans la stabilité vertébrale. Mal respirer, c’est mal stabiliser sa colonne.
La couche superficielle
La couche superficielle est formée par la musculature paravertébrale et par les trois derniers muscles abdominaux : les obliques internes, les obliques externes et le rectus abdominis (« la plaque de chocolat »).
Nous pouvons également inclure dans ce groupe le muscle latissimus. Ce dernier s’attache sur les vertèbres, de la base du crâne jusqu’aux vertèbres dorsales inférieures. De la, il rejoint l’humérus. Il affecte aussi le mouvement lombaire puisqu’il s’attache sur les vertèbres lombaires au travers d’un tissu fibreux appelé fascia lombodorsal.
Au niveau de la nuque, le muscle superficiel principal est le trapèze. Il s’attache à la base de notre crâne et sur les vertèbres D1 à D12 et s’étend de côté jusqu’aux omoplates et aux clavicules.
Le système actif de la musculature est donc composé des muscles et des tendons. Son rôle est de générer des forces de tension et de compression qui vont stabiliser la colonne vertébrale. Il permet ce que les spécialistes appellent la stabilité dynamique. Le centre des muscles et les tendons sont richement innervés de capteurs neurologiques qui transmettent leur information au système nerveux central.
Le bon fonctionnement de notre système actif nécessite 2 types de muscles ayant des rôles différents : des muscles qui vont stabiliser la colonne et des muscles qui vont permettre le mouvement.
Le système passif étant très peu stable, il est impératif que la musculature le stabilise avant même de considérer de le faire bouger. En bougeant la colonne sans la stabiliser, nous prenons le risque de la blesser à chaque mouvement.
Nous avons donc besoin de muscles posturaux pour stabiliser la colonne. Une fois la colonne stabilisée (couche moyenne), la musculature du mouvement (couche superficielle) peu finalement s’activer pour nous faire bouger.
Des problèmes de dos peuvent donc apparaître si les différents types de muscle sont déconditionnés. Mais vous pouvez également développer des problèmes même si ces différents muscles fonctionnent bien en eux-mêmes mais qu’ils se coordonnent mal entre eux.
Il faut encore souligner que les muscles n’agissent pas de leur propre volonté. Ils sont sous le contrôle du système nerveux.
Le système de contrôle du système nerveux
Au niveau du dos, le système nerveux est composé de la moelle épinière et des nerfs rachidiens.
La moelle épinière est l’extension du cerveau. Elle naît du tronc cérébral et descend dans la colonne par le canal vertébral jusqu’au niveau de la première lombaire environ. Elle est « suspendue » dans la colonne vertébrale par les méninges qui s’ancrent directement à la base du crâne, sur les vertèbres cervicales, le sacrum et le coccyx.
À l’état vivant, la moelle épinière et les nerfs sont une substance quasi gélatineuse. Ils ressemblent à des spaghettis trop cuits et sont donc très délicats. Leur intégrité est en partie due à des phénomènes de tenségrité, transmis par la colonne au travers des méninges.
À chaque niveau vertébral, la moelle épinière émet deux nerfs rachidiens qui vont sortir entre deux vertèbres par une ouverture appelée trou de conjugaison.
Vous avez certainement entendu parler des hernies discales où le disque intervertébral se déforme et vient compresser la racine des nerfs à leur sortie de la colonne. C’est un phénomène réel, mais qui ne représente qu’environ 1 à 5 % des causes de mal de dos.
Ce que les gens connaissent moins, c’est l’impact des tensions dans le système nerveux. Les travaux du neurochirurgien Alf Breig dans les années 1980 ont montré que la moelle épinière a sa propre mécanique et, lors des mouvements de flexion et d’extension du dos, se déplace de 5 à 6 centimètres dans le canal vertébral. Ce spécialiste a montré que la moelle épinière et les nerfs étaient en fait plus susceptibles aux forces de tensions qu’aux forces de compression, un phénomène que Breig appelle « tension mécanique adverse sur la moelle épinière ». Cette tension affecte la transmission d’information entre le cerveau et le reste du corps.
Votre moelle épinière est un peu comme les cordes d’une guitare. Vous pouvez être le meilleur guitariste du monde, si vos cordes ont trop ou pas assez de tension et qu’elles ne sont pas accordées, votre musique sera une cacophonie. De même, si votre moelle épinière est trop ou pas assez sous tension en fonction de la forme et de la posture de votre colonne qui lui transmet des forces par les méninges, la communication entre le cerveau et le reste du corps sera une cacophonie douloureuse.
La flexion de la colonne (se pencher en avant) est la posture qui engendre le plus de tension dans la moelle épinière. C’est typiquement ce genre de posture de défense, épaules arrondies et rentrées – comme un boxeur qui se défend – que nous adoptons lorsque nous sommes sous stress.
La plupart des gens perçoivent le chiropraticien comme un « mécanicien qui remet en place » alors que la réalité est que notre rôle à plus à voir avec celui « d’un accordeur de cordes de guitare ».
Vous comprenez désormais mieux l’importance des trois systèmes neuro-vertébraux. Pourtant, au niveau du système nerveux, les choses se corsent encore un peu, car de multiples dimensions interviennent qui incluent votre moelle épinière, votre cerveau et même vos zones émotionnelles.
Mécanismes réflexes
Nous avons un niveau du système nerveux qui permet de coordonner les mécanismes réflexes au niveau de la colonne. Pour donner de la stabilité, le cervelet – une petite zone spécialisée située à l’arrière du cerveau – va jouer un rôle clé dans le système réflexe. Tout cela se fait de manière inconsciente, c’est-à-dire que ce sont des mécanismes réflexes sur lesquels nous n’avons pas le contrôle.
Volonté et conscience
Une autre partie du système nerveux va, elle, nous faire bouger de manière consciente, c’est-à-dire volontaire. Elle implique différentes parties du cortex moteur. Ce cortex envoie des messages en direction de la musculature, messages qui vont transiter par des zones que l’on appelle les noyaux ou ganglions de la base. Ces ganglions de la base vont moduler les messages de mouvement en les amplifiant ou en les réduisant.
Ces ganglions de la base sont, par exemple, affectés la maladie de Parkinson, maladie où les gens commencent à trembler et à devenir très lents.
Le contrôle moteur transite par ces voies-là, mais aussi par le cervelet qui va coordonner et synchroniser nos mouvements. Le bon fonctionnement de ces zones est très important pour que le mouvement soit fin et qu’il ne blesse pas les articulations.
Vous comprenez donc désormais que les problèmes de dos ne sont pas limités à des mécanismes musculaires et articulaires locaux, mais impliquent également des mécanismes de contrôle neuromoteurs qui engagent l’ensemble du système nerveux, et notamment le cerveau. Ces mécanismes – que nous appelons « supra segmentaires – ont été découverts relativement récemment et changent notre compréhension des causes du mal de dos.
Le système émotionnel
Le système émotionnel est un peu plus difficile à appréhender que les trois précédents qui sont relativement bien définis et concrets : des muscles, des articulations et du câblage de nerf. Mais que sont nos émotions ? En avez-vous déjà vu une ? Ressenti, certainement, mais vu ?
Le système émotionnel est moins bien défini anatomiquement. Il s’agit en fait d’un vaste complexe formé de circuits neurologiques, de substances chimiques et de récepteurs cellulaires responsables de nos émotions. Il s’étend quasiment partout dans notre système nerveux et, étonnamment, est particulièrement riche dans les zones de la moelle épinière qui reçoivent les premières informations venant de la périphérie.
Une des parties les plus connues de ce système est le système limbique de notre cerveau.
Le système limbique – ou système émotionnel – influence le tonus de base de notre musculature. Quand nous avons des émotions, nous avons tendance à nous tendre, à nous contracter, à nous cuirasser. En activant le système limbique, nous affectons donc la fonction de notre dos et nous sensibilisons notre système nerveux à la douleur.
D’ailleurs, la plupart des patients sont étonnés d’apprendre à quel point les émotions jouent un rôle dans nos maux de dos. Pour vous en convaincre, lisez l’encadré ci-dessous:
Les émotions et les maux de dos : trois études clés
Dans une étude, les chercheurs ont placé des sujets dans un IRM fonctionnel pour tenter d’identifier les zones cérébrales responsables de la douleur. Ils ont ensuite induit une douleur physique aux participants et ont cartographié les zones cérébrales qui se sont activées. Ils ont ensuite soumis les participants à un rejet social (pour induire une blessure émotionnelle). Et là, surprise : le rejet social active les mêmes zones cérébrales que les douleurs physiques !
Dans une autre étude, les chercheurs se sont intéressés à l’impact mécanique des émotions et du stress psychologique. Ils ont demandé à des sujets de soulever un cageot et de le poser sur une étagère. Les scientifiques ont mesuré la charge mécanique induite par l’effort physique sur le dernier disque intervertébral du bas du dos. La charge mesurée a servi de point de comparaison. Puis, les chercheurs ont demandé aux participants de faire exactement le même mouvement, mais en ajoutant une contrainte de temps. Ce stress émotionnel s’est traduit, en moyenne, par une augmentation de 40 kg de charge sur le dernier disque ! Puis, dans une deuxième partie de l’étude, ils ont demandé aux sujets de porter leur cageot, mais en induisant cette fois-ci un élément d’incertitude. Les résultats sont choquants : ce stress psychologique s’est traduit par une charge supplémentaire mécanique de 70 kg ! Imaginez la charge que vous « mettez sur votre dos » si vous avez des problèmes de couple, des difficultés financières ou si vous avez du stress professionnel.
Dans cette étude, les chercheurs ont voulu connaître l’influence du stress psychologique vécu pendant l’enfance par des adultes devant se faire opérer d’une hernie discale. Ils ont divisé les sujets en deux groupes : ceux qui n’avaient pas subi de stress psychologique pendant l’enfance et ceux qui en avaient subi (comme avoir été abusés ou abandonnés, ou encore avoir grandi avec l’impression que les parents ne les aimaient pas ou avec un parent souffrant d’une maladie psychique, comme de la dépression). Dans le groupe sans antécédents psychologique, la chirurgie a soulagé 95 % des participants. Dans le groupe avec antécédents, la chirurgie n’en a soulagé que 15 % !
Vos émotions peuvent donc contribuer à vos maux de dos,voire vous empêcher d’en guérir ! |
Stabilité neurovertébrale et surcharge vertébrale
Dans les années 1990, la recherche scientifique a montré que les activités quotidiennes moyennes plaçaient environ 80 kg de stress ou compression sur la colonne vertébrale. C’est un peu comme si vous portiez un homme de ce poids toute la journée sur votre dos !
Dans certaines activités particulières, comme l’haltérophilie de compétition, les poids soulevés par les athlètes se traduisent par des forces énormes sur la colonne vertébrale : jusqu’à 1600 kg pour certaines athlètes.
Le plus étonnant, c’est que notre colonne vertébrale (le système passif) et nos disques, lorsqu’ils sont dénués de nos muscles dorsaux, ne sont capables de supporter qu’environ 9 kg de compression avant de céder !
Les chercheurs ont donc vite compris que la colonne vertébrale avait vraiment besoin d’un bon soutien musculaire pour faire face aux demandes de la vie quotidienne. Cependant, un muscle ne fait rien par lui-même ; il est sous le contrôle du système nerveux.
Il faut cependant se rendre compte que le fait de contrôler les 632 muscles de notre corps pour que les 280 articulations de notre organisme puissent bouger comme elles le désirent, tout en étant dynamiquement stabilisées pour ne pas se blesser est une tâche énorme et complexe. Pour rendre les choses encore plus compliquées, nos muscles se composent de faisceau de fibres musculaires qui ont chacune leur propre contrôle neurologique. Certains experts ont donc estimé que notre système nerveux ne devait pas seulement contrôler 632 muscles, mais plutôt 300’000.
La stabilité vertébrale est donc un acte neurologique phénoménal qui nécessite un haut degré d’efficience.
Notre colonne vertébrale est assez semblable à une canne à pêche placée à la verticale. Une simple charge compressive placée sur sa pointe la fait rapidement plier. Par contre, si l’on attache des haubans à différents niveaux et dans différentes directions et que, encore plus important, nous plaçons ces haubans sous tension équilibrée, nous offrons au système une stabilité qui lui permet de résister à de grandes forces compressives. C’est le rôle que joue la musculature sous le contrôle du système nerveux.
En fait la musculature n’a pas besoin de se contracter très fort pour stabiliser la colonne vertébrale. Pour les activités quotidiennes, une contraction de la musculature abdominale équivalente à seulement 10 % de sa capacité totale de contraction est nécessaire pour stabiliser la colonne, si cette dernière est en bonne santé.
Par contre, si la colonne est blessée, elle aura besoin de plus de contraction musculaire pour rester stable. Paradoxalement, plus la contracture musculaire augmente, plus cela compresse également la colonne.
Une bonne stabilité, c’est donc trouver un bon degré de contraction de la musculature stabilisatrice pour permettre de stabiliser la colonne, sans trop contracter pour ne pas créer trop de forces compressives ou de surcharge sur la colonne.
Un point essentiel à comprendre est que la colonne ne doit pas seulement être stable quand elle bouge. Comme elle représente le cœur de notre corps, elle doit également se stabiliser à chaque fois que nous effectuons des mouvements des membres (bras et jambes). Elle sert de base stable aux mouvements des extrémités. Un manque de stabilité de la colonne vertébrale peut donc donner lieu à une altération de la mécanique des membres qui peut s’exprimer par des problèmes dans les bras et dans les jambes, comme des douleurs ou des tendinites.
La stabilité et les trois couches musculaires
J’ai expliqué plus haut que d’un point de vue fonctionnel, la musculature du dos se composait de trois couches.
La couche profonde est une musculature qui n’a rien à voir avec le mouvement. En fait, elle est très riche en récepteurs. Son rôle est d’informer le cerveau sur la position de la colonne dans l’espace est sur les besoins en stabilité de la colonne. En plus de cette information, les articulations et les disques informent également le cerveau. Le fonctionnement de cette couche est également sous l’influence du système émotionnel.
La couche moyenne est la musculature stabilisatrice. C’est elle qui va donner la stabilité à la colonne. Le mouvement précis et coordonné de cette musculature est hautement dépendant de la qualité de l’information provenant de la couche profonde. Si cette information est inadéquate, le cerveau est mal informé et, en conséquence, il sera moins précis dans son contrôle de la musculature stabilisatrice.
La couche externe est responsable du mouvement. Elle ne peut opérer efficacement que si la couche moyenne a bien stabilisé le système.
Nous voyons donc que le bon fonctionnement de chaque couche est hautement dépendant du bon fonctionnement de la couche qui lui est plus profonde. Le moindre grain de sable est le système perd de sa stabilité, ce qui peut l’amener à se blesser.
Surcharge et forces compressives
Avant de continuer, il nous faut définir quelques termes.
À chaque fois que nous effectuons une activité, le système musculaire doit stabiliser notre colonne. Ce faisant, il va créer une certaine quantité de force compressive sur la colonne. On appelle ces forces une charge. Bien évidemment, l’activité en elle-même va venir s’ajouter à la charge crée par la stabilisation. Chaque activité crée donc une certaine charge ou force compressive sur la colonne. Dès le moment où cette charge devient trop élevée est qu’elle risque d’endommager la colonne, on parle de surcharge.
Un point important à comprendre est que ce n’est pas seulement les surcharges qui sont problématiques et malsaines pour la colonne. Un manque de charge est également nuisible. Trop ou trop peu est un problème.
Notre colonne est faite pour recevoir une certaine quantité de charge quotidienne. Diverses études ont montré que les gens qui avaient le moins de problèmes de dos sont ceux qui avaient une activité quotidienne modérée. Ceux qui ont le plus de problèmes sont ceux qui sont complètement sédentaires et ceux qui font de gros travaux de force.
Par exemple, et contrairement à la croyance populaire, le risque d’hernie discale est bien plus élevé chez les gens qui sont assis toute la journée que ceux qui font des travaux lourds. Ces derniers sont plus à risque de souffrir de dégénérescence vertébrale, c’est-à-dire de développer de l’arthrose.
Charges typiques dans la vie quotidienne
Nous avons dit précédemment que les activités quotidiennes imposaient certaines charges sur la colonne vertébrale. Découvrons ensemble l’impact de diverses activités :
La flexion avant (se pencher en avant)
Se pencher en avant, bien que cela soit une activité courante, présente une mécanique particulière. Lorsque nous nous penchons, notre colonne vertébrale fléchit et les muscles du dos se contractent en s’allongeant pour contrôler le mouvement de descente. En fin de mouvement, au maximum de la flexion, un phénomène particulier intervient appelé la quiescence myoélectrique.
Cela veut dire qu’en fin de mouvement de flexion, la musculature arrête de travailler et toutes les forces sont transmises à la colonne vertébrale. Mais si vous vous souvenez, nous avons dit que la colonne sans les muscles était très peu stable. Tout cela pour vous dire que la position de flexion est une des positions les plus exigeantes pour la colonne vertébrale et, si vous vous souvenez des travaux de Breig le neurochirurgien, pour notre moelle épinière.
Nous en reparlerons plus tard lorsque nous parlerons de comment se forment les hernies discales, mais vous avez déjà un peu la puce à l’oreille quant à savoir pourquoi les exercices qui mettent la colonne en flexion (comme par exemple tirer les genoux à la poitrine ou toucher ses doigts de pieds les jambes tendues) sont des exercices potentiellement dangereux pour la colonne en fonction de son état.
Port de charge
Bien évidemment, le port de charge crée des forces diverses en fonction du poids de la charge. Plus le poids est tenu éloigné de la colonne, plus il crée de charge sur la colonne. Par exemple, une personne soulevant un poids de 27 kg en pliant les genoux, va produire une force compressive sur les lombaires d’environ 700 kg. En général, une colonne saine peut supporter jusqu’à 1200-1500 kg. Mais 700 kg peut déjà commencer d’endommager des colonnes affaiblies.
La marche
Nous avons tendance à l’oublier mais la marche provoque chaque jour des milliers de cycles de charge peu élevée. Pendant la marche, les forces compressives sur la colonne lombaire s’élèvent à environ 2.5X votre poids corporel.
Une découverte importante de la recherche est la différence entre la marche lente et la marche rapide avec balancement des bras. La marche lente provoque une charge statique quasi constante sur les tissus, alors que la marche rapide avec balancement des bras provoque une charge cyclique. Cela veut dire que lors de la marche lente, les tissus sont constamment sous charge, alors que dans la marche rapide, ils ne le sont que par moments. La marche rapide est donc moins traumatique que la marche lente.
Chez certaines personnes, le balancement des bras permet de décharger les tissus de près de 10 % ! Thérapeutiquement, la marche rapide est donc meilleure que la marche lente pour les personnes souffrant du dos. C’est pourquoi le Nordic walking est une excellente activité
La position assise
La position assise engendre des charges qui peuvent être équivalentes à 3-6X celle de la position debout. Nous avons mentionné brièvement le lien entre les positions assises prolongées et le risque d’hernie discale. Sur ce diagramme, nous voyons les différentes charges imposées sur la colonne lombaire lors de position assise.
Malgré le mythe perpétué par de nombreuses directives ergonomiques, il n’existe pas « une seule position assise idéale ». La seule position assise idéale est celle qui change constamment afin de permettre aux tissus d’éviter d’accumuler trop de charge. Nous en reparlerons en plus de détails dans notre chapitre de conseils pratiques.
Ordinateur et souris
La souris est une source importante de tensions pour le système musculaire. Certaines études ont montré que l’utilisation de la souris créait deux fois plus de tensions dans la musculature des trapèzes que la position des mains posées sur les cuisses.
Exercices en flexion
Le but de toute réhabilitation est de faire travailler un muscle à un niveau approprié tout en protégeant la colonne vertébrale. Malheureusement de nombreux exercices prescrits aux individus souffrant de problèmes de dos dépassent le seuil de tolérance des tissus blessés. Souvent certains exercices de flexion couramment prescrits créent tellement de compression vertébrale qu’ils sont sûrs de faire que le patient… reste un patient !
Par exemple, un des exercices les plus prescrits pour soi-disant renforcer le dos est de faire des abdominaux. Cet exercice provoque environ 330 kg de compression lombaire.
Le plus intéressant est que, aux États-Unis, l’Institut National de la Santé au Travail a déterminé que la limite supérieure de sécurité de compression pour la colonne lombaire était justement de 330 kg.
Des charges répétitives au-delà de cette limite sont associées avec un risque accru de problème de dos chez les travailleurs. Cela veut dire qu’un thérapeute qui prescrit des abdominaux à un patient lui fait dépasser la limite de sécurité à chaque répétition ! Ce n’est donc pas très judicieux.
Certains thérapeutes recommandent de faire des abdominaux avec les jambes pliées, car cela déchargerait le dos. Les études scientifiques ne confirment pas cette affirmation. En fait, dans cette position, le psoas s’active plus, ce qui donne lieu à une plus grande charge compressive.
Le Dr McGill, un des plus grands spécialistes mondiaux en matière de biomécanique du dos, a déclaré, après avoir étudié en profondeur le sujet, que les abdominaux ne devrait pas être fait par la majorité des patients souffrant du dos.
Pour vous donner une idée concrète, une étude scientifique a montré qu’une colonne penchée en avant (flexion) était 20-40 % plus faible qu’une colonne en position neutre.
De plus, il a été montré que la flexion vertébrale prolongée modifiait la réponse neurologique des muscles extenseurs et donnait lieu à des spasmes musculaires à cause de la déformation ligamentaire que cette position entraîne. Dans une étude, il a fallu jusqu’à 7 heures pour retrouver un fonctionnement neurologique normal.
Il existe encore un autre aspect de la flexion que nous devons mentionner. Lorsque nous penchons notre colonne en avant, celle-ci ne subit pas que des forces de compression. Elle subit également ce que l’on appelle des forces de cisaillement. Lorsque la colonne est fléchie, comme dans cette photo, les forces de cisaillement dépassent les 100 kg. La recherche a montré que la colonne n’était capable de résister qu’à des forces de cisaillement d’environ 200 à 280 kg.
Par contre, si l’on maintient la courbure naturelle, c’est-à-dire en gardant la colonne en position neutre et en fléchissant au niveau des hanches, les forces de cisaillement ne sont que de 20 kg.
Exercices d’extension
Les mêmes principes s’appliquent aux exercices d’extension. De nombreux patients se voient prescrire des exercices d’extension pour « renforcer » le dos.
Premièrement, les études scientifiques ont montré que la force du dos n’avait pas de lien concret avec la prévention des problèmes de dos. Ce n’est pas la force qui compte, c’est l’endurance.
Deuxièmement, la plupart des exercices font travailler la couche externe, et non pas la couche moyenne, stabilisatrice, qui en a le plus besoin.
Un problème principal dans la réhabilitation est que ce domaine a été pollué, notamment dans de nombreux fitness, par les principes de bodybuilding, qui ont pour but d’hypertrophier la musculature. Ce n’est pas ce que nous désirons atteindre en réhabilitation. Ce qui nous importe, c’est la stabilité. Et c’est essentiellement un acte neurologique.
Certains exercices d’extension imposent même des forces impressionnantes sur la colonne. Par exemple, l’extension sur une chaise romaine impose près de 400 kg sur la colonne. L’hyperextension (appelé Superman) impose près de 600 kg !!
L’élément clé pour préserver l’aspect thérapeutique, tout en épargnant la colonne, est d’activer seulement un seul côté à la fois. Par exemple, l’extension d’une seule jambe n’impose que 200 kg de compression, alors que l’extension de la jambe avec le bras opposé amène la compression à 300 kg.
Avant de terminer, j’aimerais vous faire prendre conscience de deux autres phénomènes biomécaniques importants en matière de préservation de votre dos.
Les changements vertébraux durant la journée
La plupart d’entre vous auront remarqué qu’il est plus facile d’enlever ses chaussettes le soir que de les mettre le matin. Durant la journée, notre colonne vertébrale change littéralement de taille. En fait nous perdons environ 20 mm de taille pendant la journée.
Plus de 50 % de cette perte a lieu dans la demi-heure après s’être levé du lit le matin. Cette perte de taille est essentiellement due à la perte d’eau par le disque intervertébral. Cela donne lieu à un rétrécissement de l’espace entre les vertèbres et une diminution de la tension dans les ligaments.
Pendant la nuit, l’eau rentre dans le disque. Au réveil, le disque a donc plus d’eau et les ligaments sont plus sous tension. Ceci diminue notre mobilité lombaire. Des chercheurs ont montré que le stress sur le disque est augmenté de 300 % et le stress sur les ligaments de 80 % le matin, comparé au soir. Nous avons donc un plus grand risque de nous blesser le matin si nous nous penchons. Des chercheurs ont même pu montrer que des patients souffrant de douleurs lombaires chroniques souffraient moins s’ils évitaient de mettre leur colonne en flexion le matin.
Évitez donc de faire des exercices vertébraux le matin, notamment si ceux-ci impliquent de se pencher en avant (flexion).
La mémoire vertébrale
Le concept de mémoire vertébrale se réfère au fait que les tissus vertébraux ont tendance à s’adapter à toute position prolongée. La fonction de la colonne est donc influencée et modulée par les activités précédentes. Par exemple, la position assise prolongée avec la colonne fléchie crée un relâchement momentané des ligaments postérieurs, ce qui fait perdre de la stabilité au système. Le Dr. McGill et son équipe ont montré que 2 minutes après avoir été assis pendant 20 minutes, les sujets n’avaient retrouvé que la moitié de leur stabilité. 30 minutes après, il restait encore une légère laxité ligamentaire chez la majorité des sujets.
Ces études nous enseignent deux choses :
Il est sage de ne pas lever des charges après une position prolongée en flexion. Par exemple, dans le cas du chauffeur de camion ou de la personne qui fait du jardin plié en deux.
Il vaut la peine de se lever et de s’étirer, en effectuant même quelques exercices d’extension.
Deuxièmement, il est sage de maintenir une position la moins fléchie possible en position assise en utilisant un support lombaire. De plus, il est également sage de faire des pauses toutes les 20 à 30 minutes et de se lever quelques minutes.